Dodécaudax du Solstice avec les Randonneurs Vendômois

Nouvellement inscrit au VCN et donc sur Slack je lis un post de Jean-Baptiste sur cette rando de nuit qui m’interpelle : 

  1. Cette année je n’ai pas fait de 200.
  2. Mis à part mes raids de nuit avec le PGR, je n’ai jamais passé toute une nuit à rouler.

Le défi était difficile compte tenu de mon peu de kilomètres cette année et de plus rouler de nuit en plein hiver, mais d’autres éléments m’ont convaincu de tenter l’aventure : l’assurance que je ne serais pas seul (les inscriptions de Jean-Baptiste qui l’avait déjà fait en 2023 et de Farid qui serait un rookie comme moi) ; l’encadrement par un capitaine de route et un serre-file, le repas dans une salle troglodyte aux deux tiers de la rando, la perspective de voir Chambord de nuit et une trace sans grande difficulté avec très peu de dénivelé. 

Inscription faite j’organise mon emploi du temps pour être à Tours le mercredi car c’est une région que je visite régulièrement dans un cadre professionnel.  Je réserve donc un hôtel pour deux nuits, proche du départ de l’épreuve ce qui me permettra d’être reposé et de bien préparer mon vélo. Bien m’en a pris car à mon arrivée à l’hôtel je me rends compte que c’est le même hôtel qui accueillera samedi matin tous les randonneurs pour le petit-déjeuner.

Après avoir consulté la météo qui ne prévoit pas d’intempéries ni de températures négatives (mais basses : entre 3 et 6° C avec un taux d’humidité inférieur à 85%) je m’équipe en conséquence : 

  • Les pieds : chaussettes en laine mérinos avec chaussures d’hiver et sur-chaussures
  • Le bas : un cuissard long
  • Le buste : 5 couches (un maillot de corps type nid d’abeille, un maillot thermique manche longue, un tee-shirt en lycra, une veste sans manche mi-saison, une veste manche longue en Gore-Tex
  • La tête : une cagoule doublée d’un tour de cou 
  • Les mains : gants en Gore-Tex
  • Les éléments de sécurité : un casque avec frontale, un harnais de signalisation
  • Les vêtements additionnels pour la pause : une veste de pluie jaune, une doudoune, un tee-shirt, un sweet, gants en mérinos.
  • Le matériel annexe : une lampe au cintre, un radar lampe Garmin Varia à l’arrière, un bidon isotherme, deux chambres à air, une pompe à vélo, deux power banks et la connectique, des barres de céréales et gels.

Fin prêt à 19h30 je rallie le départ à moins de cinq minutes devant le Palais des Sports de Tours ou l’on est accueilli par Jean-Pierre, l’organisateur, avec un café chaud et des madeleines. Je retrouve Farid prêt pour l’aventure, malheureusement Jean-Baptiste a dû renoncer à cause d’un chauffard parisien qui l’a percuté une semaine avant.

Pendant les 20 à 25 minutes d’attente nécessaires avant le départ (prises de photos, rappel des consignes de sécurité, constitution de trois groupes de randonneurs…) je suis pris d’un doute sur ma décision de participer à cette aventure car j’ai déjà froid.

Les groupes se constituent mais Farid et moi on tardons à en choisir un et par conséquent, en bouche-trous, on est séparés : j’intègre le groupe un et Farid le trois avec des cyclos de Pantin qu’il connaît.

20h le groupe un s’élance avec un capitaine de route expérimenté.  Une quinzaine de cyclos serpentent dans la bonne humeur dans les rues de Tours pour rejoindre rapidement la rive droite de la Loire et rouler en direction de Vouvray. Pendant ces dix premiers kilomètres le rythme est tranquille et en discutant je m’aperçois que je suis vraiment un rookie de la longue distance car mes compagnons sont tous des cyclos, hommes et femmes, expérimentés avec des Paris-Brest-Paris et des Diagonales dans les pattes. 

Deux cyclos m’interpellent particulièrement par leur équipement : l’un roule en sandale (Pierre Soumoulou dit le Hibou que vous pouvez découvrir dans le podcast Diagonalistes) et l’autre un extra-terrestre équipé en cuissard corsaire, mitaines et un casque sans cagoule ni bonnet ou protège-oreilles. Je me laisse glisser à l’arrière du peloton car la lumière de mon Garmin Varia, que j’ai dû fixer tant bien que mal à l’arrière de ma sacoche de selle, gêne mes compagnons quand ils me suivent.

Au niveau d’Amboise le groupe s’arrête pour un arrêt pipi et on est dépassé par les deux autres groupes, nous reprendrons quelques kilomètres plus loin notre première place pour les mêmes raisons. 

On traverse le fleuve pour laisser sur la droite Chaumont-sur-Loire et prendre la direction de Blois. La sensation de rouler de nuit est agréable car comme on se déplace en peloton homogène chacun étant entouré de feux rouges et blancs, on se sent en sécurité comme dans un cocon et on se prend à penser que l’on participe à un événement atypique avec des cyclistes admirables.

La proximité de la Loire fait que l’on ressent l’humidité transpercer nos vêtements et après trois heures de vélo je discerne une petite fringale : le rythme n’étant pas trop élevé, le froid et l’humidité rendant toute action sur le vélo pénible, on ne trouve pas le besoin de s’hydrater et de s’alimenter régulièrement (cela me coûtera cher plus tard). Je prends une barre céréale qui me requinque.

Blois est en vue mais à un rond-point une crevaison de mon pneu avant fait stopper le groupe qui est rapidement dépassé par les deux groupes suiveurs : on n’arrivera pas les premiers au ravito de Chambord. Tous les cyclos qui percent en hiver le savent : il faut rapidement se dépanner sous peine de se refroidir. La solidarité de cette rando n’est pas un vain mot : une équipe de choc change la chambre à air rapidement et nous reprenons notre rythme de croisière en dépassant Blois et en entrant dans le parc de Chambord

Kilomètre 80 il est minuit moins cinq, on arrive au ravito de Chambord. Afin de profiter des illuminations du château qui s’éteignent à minuit j’en fais le tour pour prendre une photo. Le groupe 2 et 3 sont déjà sur le départ de la seconde partie du voyage. Photo dans la boite, je me dépêche d’aller au ravito prendre un café et des gâteaux et de regonfler mon pneu avant avec une pompe à pied. 

 

Pas le temps de musarder, mon groupe est déjà parti. Je me mets en mode poursuite pour le rattraper un à deux kilomètres plus loin. En forçant sur les pédales je sens des crampes pointées au niveau des quadriceps. Le groupe s’arrête à un rond-point avant de retraverser la Loire au niveau de Muides-sur-Loire : arrêt fatal mes deux quadriceps crampent en même temps, le groupe m’attend le temps que ça s’atténue. On repart sous une sorte de crachin neigeux, l’humidité de la Loire s’imprègne dans les vêtements : il reste 120 kms à parcourir environ, la nuit va être longue.

La Loire dernière nous, on remonte sur Mer complètement endormis, on passe au-dessus de la voie ferrée Orléans – Tours puis de l’A10 et on se retrouve sur un plateau entre Beauce et Vendômois. En moulinant je ne sens plus de contractures, un vent favorable augmente notre moyenne, le taux d’humidité baissant la température extérieure est agréable, je me sens pousser des ailes et je prends quelques relais. Seule la traversée des hameaux et des villages casse la monotonie de notre environnement due à l’obscurité. De temps en temps une chouette effraie croise notre chemin. De bonne allure on dépasse le groupe deux (on apprendra plus tard que l’un des leurs a eu des ennuis de dérailleur). Dix kilomètres avant Vendôme, je vois au loin une lumière rouge et crois avoir rattrapé le groupe trois. À la faveur d’un toboggan, notre groupe fond sur la lumière rouge et en la dépassant je vois Farid esseulé dans la nuit qui pourchassait son groupe pendant plus de 30 km après un ennui de lunettes. Pas cool le groupe trois qui l’a abandonné ! Pourtant ce sera le même groupe qui va m’accompagner et me soutenir jusqu’aux portes de Tours. 

Il est trois heures du matin, nous traversons Vendôme pas si endormie que cela puisqu’une assemblée de jeunes sortant ou allant à une fête nous acclament sur le bas-côté. 

Plus que cinq km et c’est le repas chaud ! Enfin le kilomètre 137, clou de la soirée. On gare nos vélos à l’abri d’un porche taillé dans la roche, on se change, on recharge les accus des Garmin et des lampes. Chacun se restaure dans la joie et la bonne humeur : apéro, soupe de potimarron, gratin dauphinois avec jambon, fromage et tarte aux pommes. Un des organisateurs met à l’honneur des cyclos qui ont à leur palmarès douze ou treize Paris-Brest-Paris et toutes les Randonnées du Solstice depuis leur création en 2014.

Pour ma part je n’ai pas pu profiter pleinement du repas car au milieu de celui-ci mes deux quadriceps se rappellent à mon bon souvenir et se contractent en même temps : je m’isole pour que passe la douleur et me masse les cuisses. Rien n’y fait. Après plus d’une heure de pause ils se sont refroidis malgré une hydratation à la Badoit de l’apéro et à la soupe. Cela va être dur de redémarrer surtout mais tout le monde se lève pour reprendre le périple. Je me déplace péniblement jusqu’à mon vélo, me rééquipe. Les crampes ne disparaissent pas, au contraire à chaque mouvement elles perdurent. Des cyclos bienveillants viennent me voir et me donnent des compléments sous forme de pastilles à sucer. Je me dis que la dernière partie va être dure : 70 km restant avec pratiquement tout le dénivelé de la rando à faire. La maîtresse de maison essaye de me dissuader de continuer dans cet état et me suggère de terminer dans la voiture qui me ramènera à Tours au petit matin. J’avoue que c’est tentant : plus de souffrances, plus de froid, plus de vélo. De plus, le temps de me préparer et de discuter mon groupe était parti. Seul le groupe trois de Farid était encore là : l’honneur du VCN était en jeu. N’écoutant que mon égo je monte péniblement sur mon vélo et m’engage dans le final sous un crachin non prévu par la météo.  

Première côte après 3 km, je mouline et la monte sur le dernier pignon. Je sens mes cuisses se contracter mais cela passe. Sur le plat je refais mon retard mes compagnons réduisant leur allure pour m’attendre. Mais dans la prochaine difficulté, une grande rampe rectiligne, malgré un gros développement, mes deux quadriceps ainsi que mes ischios crampent en même temps. Je déchausse rapidement sous la douleur et éprouve la sensation d’avoir deux poteaux télégraphiques à la place de mes jambes. Thierry le capitaine de route redescend le raidillon et viens m’aider. Il évalue la situation en me demandant si je peux marcher et terminer la bosse en bipède et m’assure qu’il restera avec moi si nécessaire jusqu’à Tours. Mon vélo par terre, je ne peux pas m’asseoir car les bas-côtés sont trempés, heureusement une rambarde de sécurité me permet de m’asseoir et de lâcher la pression sur mes cuisses.  Il reste 60 kms à parcourir mais il faut que j’y arrive, ce n’est qu’un mauvais moment à passer, après Chambord j’ai crampé mais cela a passé et j’avais même retrouvé des sensations donc pourquoi pas renouveler l’expérience. Je monte péniblement la rampe à pied, au sommet je me remets en selle et re-pédale tranquillement. Au moindre dénivelé positif (petite bosse, faux -plat, et raidillon) je mets le gros pignon et contrôle les contractures ; évidemment avec Thierry nous perdons rapidement du terrain par rapport au reste du groupe. Je me fixe mentalement des étapes de 20 km. Les autres nous attendent et nous faisons une pause sur le bord de la route juste avant Château-Renault. Thierry est rejoint par Bruno qui vont m’accompagner en papotant non-stop jusqu’au petit déjeuner.  On passe devant un Lidl tout éclairé, la mise en rayon a commencé, la circulation automobile est plus fréquente, il doit être au moins six heures du matin. On quitte Château-Renault : Vouvray est à 25 km. 10 km avant Vouvray après une courte pause le groupe trois en file indienne et en musique prend le large nous laissant seuls Thierry, Bruno et moi. 

Enfin Vouvray, on traverse la Loire pour rejoindre la piste cyclable de La Loire à Vélo. Malgré la pénombre on sent que l’agglomération se réveille, la circulation devient dense : camions, bus, quelques vélotafeurs, on redevient des cyclistes ordinaires. Je n’ai plus d’énergie mais pas envie de dormir : l’écurie est proche, plus que quelques kilomètres avant le final. On dépasse le panneau Tours, on prend des avenues avec des pistes cyclables ou on se laisse doubler par des VAE : les 200 km ont laissé des traces ! Avenue Gramont on rejoint le local vélo de l’hôtel pour sécuriser nos montures le temps de prendre le petit déjeuner.

Je remercie mes deux anges gardiens pour leur soutien et, bon dernier de l’épreuve, rejoint par l’ascenseur les 50 autres participants dont Farid du VCN et les organisateurs heureux que tout se soit bien passé et nous nous donnant rdv pour le Dodécaudax des Rois le 11 janvier 2025.